Politiquement correct
- J’ai lu votre scénario, mon vieux, me dit le producteur. Globalement ce n’est pas mal, mais je crains qu’il nécessite quelques mises au point.
- Il y a des problèmes ? Des incohérences ?
- Non, me dit-il, c’est juste que certains points de détail me paraissent tomber sous le coup de la loi. Tenez, ajoute-t-il en brandissant le scénario : votre héros qui fume en attendant son contact irakien, ce n’est pas possible.
- Il est juste un peu nerveux. Il doit recevoir les codes nucléaires, alors c’est le stress, quoi.
- Certes, certes, répond le producteur, mais... comment vous dire ? Vous savez que la ministre de la Santé ne veut plus qu’on fume au cinéma.
- On peut lui faire prendre juste un petit whisky ?
- Vous n’y pensez pas ! Et la lutte anti-alcool ? Vous avez pensé à l’image que le film donnerait à notre jeunesse ?
- Bon, et sinon, qu’est-ce que vous en pensez, du film, sur l’histoire, tout ça ?
- Je vais être assez direct : il va falloir remanier plusieurs scènes. D’abord, votre héros qui roule à 150 km/h dans les rues de Paris, c’est catastrophique pour la sécurité routière. En plus, à un moment, il téléphone au volant ! Ne niez pas ! Et il consulte ses SMS !
- C’est parce qu’il est en liaison avec le Quartier Général pour suivre le.....
- Peu importe ! aboie-t-il, visiblement agacé. Et quand il gare sa Maserati, il ne met aucune pièce dans l’horodateur ! Vous croyez que c’est plausible ça ? Et quand il rencontre la belle Norvégienne, et qu’elle le retrouve dans sa chambre pour lui remettre les plans de la base secrète, qu’est-ce qu’il trouve à faire ? Il l’embrasse ! Direct, comme ça ! Sans lui demander son avis ! Vous voulez qu’il soit poursuivi pour harcèlement, votre héros, c’est ça ?
- Non, mais euh c’est que....
- Ne m’interrompez pas ! Vous croyez que je vais mettre du pognon dans un film qui va avoir autant d’ennuis ? Et alors à la fin, c’est le bouquet ! Votre héros, qui au passage ne justifie pas de son port d’arme, tire sur le Russe et l’abat sans que soient démontrées les conditions de la légitime défense ! Alors qu’il sort de table après avoir mangé devinez quoi ? Un rôti ! De la viande ! Et par contre, il fait fi des cinq fruits et légumes par jour ! Vous allez me refaire tout ça, jeune homme, et fissa ! Et vous allez me faire le plaisir de réécrire tout ça en écriture inclusive ! Je ne veux pas d’ennuis, vous m’entendez ?
- Je peux vous proposer une histoire plus conventionnelle, si vous préférez, dis-je, essayant de l’amadouer.
- Quel genre ?
- Deux jeunes mariés s’installent en banlieue, ils travaillent dur, mais soudain la maladie s’empare de l’épouse tandis que le mari devient l’amant du voisin du dessous.
- De la voisine du dessous, vous voulez dire ?
- Oui, oui, pardon, dis-je en m’enfuyant, tandis qu’il me pourchasse avec son parapluie jusque dans la rue, en prenant garde toutefois de s’excuser auprès des passants qu’il bouscule.