Le fonctionnaire, voilà l'ennemi !
L’époque est rude. L’hydre financière s’avance, menaçante ; prête à venir jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes, elle progresse à pas feutrés comme un zombie dans la nuit ; le spectre de la banqueroute rôde au-dessus de la tête des ménagères ; les enfants hurlent de terreur ; des chauves blafards réclament des démissions ; de guerre lasse, ils finissent par démissionner eux-mêmes ; les agences de notation brandissent leur triple B. Bref, l’ambiance n’est pas à la gaudriole.
L’heure est donc à la restriction des dépenses, à l’allégement des coûts, à la maîtrise des budgets, bref aux économies qu’il est temps de faire, à défaut de quoi notre beau pays ressemblerait, dit-on, à un pays au demeurant encore plus beau : la Grèce. Ou pire : à l’Espagne, qui n’est même pas foutue de garder une coupe du monde.
En première ligne se trouve la fonction publique, tant il est vrai que, comme l’a justement rappelé le premier président de la cour des comptes, ces feignasses de fonctionnaires ont depuis des temps immémoriaux gaspillé le bon argent public versé généreusement par le contribuable à la sueur du front des entrepreneurs.
Il faut en finir avec cette société où le sang des finances publiques, allègrement pompé par ces vampires de percepteurs, coule à flots dans les veines des bureaux luxueux que fréquentent d’obscurs ronds-de-cuir encravatés dont les seules mornes occupations consistent à regarder la pendule entre deux aller-retour à la machine à café, ou à décompter les congés scandaleusement longs durant lesquels ils vont se rouler dans le sable aux frais du contribuable entre la pétanque torride et le rosé glacé.
L’ennemi est désigné : il faut maintenant le combattre, camarades ! par tous les moyens ! sans pitié ! Organisons la chasse aux fonctionnaires. Positionnons des snipers face aux fenêtres des ministères. Sabotons les véhicules de police. Désarmons les militaires : sans son arme, le soldat se sent nu. Il s’étiole ; sombre dans la dépression ; il se pend dans une grange ; sa veuve pousse un cri déchirant la nuit lorsqu’elle le découvre. Chassons les infirmières : sans infirmière, point de malade, double économie. Jetons les cahiers au feu, les profs au milieu.
Mais soyons responsables : tout ceci pourrait être source de légers troubles. C’est que le fonctionnaire ne se laisse pas faire. Il est sournois de nature, et organisé. Peut-être faudra-t-il envisager de déployer des milices afin de les traquer jusque derrière leur photocopieur.
Je propose par conséquent de mettre en place un service d’ordre afin de veiller à la sécurité publique. Mais aussi, tirant les leçons de la Révolution, entraîner une grande partie des citoyens à la défense de nos frontières afin d’éviter que les fonctionnaires, aristocrates du XXIème siècle, fassent appel à l’étranger pour tenter de faire échec à leur éradication. Evidemment, tout cela ne se fera pas sans victimes : le prix du sang est celui à payer pour la purification du pays. Il faudra donc recruter des personnes qualifiées pour soigner les blessés et les malades, ne soyons pas inhumains. Enfin, une fois le calme revenu, les citoyens disposant du savoir seront invités à le partager pour le plus grand bien des masses laborieuses.
Evidemment, certains esprits chagrins pourront peut-être objecter que le recrutement de toutes ces personnes aurait un coût : à cela je répondrai que certes, mais que c’est le prix à payer pour assainir la France et apporter une pierre à l'édifice du changement, permettant ainsi de contribuer à voir l'aurore du jour nouveau de l'équilibre financier prendre le pas sur la nuit de l'obscurantiste insécurité banque-routière.